samedi 11 octobre 2008

Errances intérieures

       Je contemplais l'univers au travers de mes songes, laissant mon âme voguer sur les flots de l'espace. Je voudrais aller nulle part, ne pas me soucier du chemin que j'emprunte. Une porte s'ouvre, j'entre. Je suis un guerrier combattant sabre au poing, l'air empeste le sang et la sueur sur ce champ de bataille venu d'ailleurs... Où bien est-ce moi qui pars... Soudain, la douleur me foudroie. Je sens un liquide chaud couler sur mon ventre. Je passe ma main sous ma cote de maille et mes doigts deviennent écarlate. Je lève les yeux, je la vois. Elle, qui de sa flèche m'a transpercé le coeur. Je soutiens son regard, mais le mal est trop fort et je mets un genou à terre. Mes pensées se brouillent et je bascule... 

     Je me relève dans mon lit, mes mèches noires trempées comme après avoir pris une douche. Je suis encore habillé. Je porte un pantalon slim et un t-shirt imprégné de transpiration, un bracelet arc-en-ciel orne mon poignet droit... Ma chambre est spacieuse, une batterie dans un coin, mon bureau, mes disques... Un poster de David Bowie au-dessus du lit. De la fenêtre ouverte, souffle une brise légère de début d'été. Je m'approche et observe la nuit tombant sur la ville... San Francisco... En-dessous, la porte du jardin s'ouvre. Un garçon me fait signe. Il a seize ans, comme moi, les cheveux châtains, les yeux vert, d'une beauté éclatante, habillé comme moi, un keffier en plus. Je descends le rejoindre après avoir changé de t-shirt. J'ouvre la porte, il m'enlace et m'embrasse... Je ferme les yeux... 

      Je suis bousculé violemment. Autour de moi, la foule s'agite et gronde. La rage du peuple, l'odeur du soufre, les fusils qu'on charge, les barricades qu'on dresse... Je suis un Gavroche, arpentant les rue de la capitale. Les insoumis se révoltent en cette année 1848, les souffrances du peuple battent un pavé parisien aussi rouge que les drapeaux qu'il arbore. En face, la répression avance telle une marche funèbre, mortelle. Dans un bruit sourd, les balles se mettent à fuser. J'essuie mon front en sueur, noircit par la poussière. La foule crie, je crie... Le hurlement d'un canon déchire le voile de fumée, partout, la chair et le sang se répandent. J'aurais dû vomir, mais la haine est plus forte que le dégoût. Je ramasse un pistolet et tire droit devant moi. Les fusils répondent tel un écho de mort... Une balle me frappe... Je tombe... Puis l'obscurité...

      Le noir m'entoure de son manteau glacé comme la crosse de l'arme que je porte. Le gros Magnum 44 étire mon bras de tout son poids, le poids du sang. Je suis dans une maison. De la porte entrouverte sur ma gauche, la lueur d'une télé projette ses couleurs sur le mur d'en face. Lentement, je jette un oeil dans la pièce. Un couple regarde les infos, une foule en délire célèbre l'arrivé d'un ordre moral au sommet de l'Etat. Mais peu m'importe. Brutalement je rentre dans le salon, des yeux se braquent sur moi... Avec le sang-froid d'un photographe professionnel, j'éternise ces visages déformés par la surprise et la peur. J'attend en vain que les regrets me montent au coeur, pendant d'interminables minutes... Alerté par le bruit, un jeune homme descend de l'escalier. Je reste stupéfait devant ses trait familiers. Mon poignet bouge comme guidé par un autre, je pointe l'arme vers le garçon... Le coup part en pleine tête... J'ai juste le temps de sentir le sang chaud couler sur ma joue...

      Une douleur aigüe me foudroie la mâchoire. Un filet de sang ruisselle, près de ma lèvre, et son goût révulsant envahit ma bouche. Mais je n'y prête pas attention. Le visage déformé par la haine, mon adversaire revient à la charge. Mon corps, en transe, insensible, réagit à une vitesse fulgurante. D'un mouvement circulaire, ma jambe fouette l'air et mon tibia vient heurter avec une violence inouïe la tête du skinhead. Un craquement sourd se produit, suivit du bruit d'un corps qui chute lourdement. Puis tout s'accélère. Deux autres partisans néo-nazis se jettent sur moi, lâchant une flopée d'injures racistes et homophobes. La haine engendrée étouffe la douleur des coups. Je me bats, j'encaisse, je rends oeil pour oeil et dent pour dent. Je n'entend pas le clic de la lame à cran d'arrêt... La couteau pénètre mon abdomen...


      Je lève la tête, j'ai un tableau de retard. Le cours de la réalité avance. Inexorablement. À ma droite, on commente la leçon... Ou bien le professeur. À ma gauche, mon camarade de promo fixe ma feuille blanche. Je tourne la tête vers lui. Nos regards se croisent... Un instant... Je m'accroche... Mais j'ai un tableau de retard. Et je commence à écrire...